« Charlemagne ne dort pas après la victoire. Les ténèbres d'une nuit orageuse ne sauraient l'arrêter dans ses visites aux avant-postes. Il veut tout voir par lui-même . Couvert de son armure de guerre , suivi de son fidèle écuyer , il parcourt toutes les lignes (…)Tout-à-coup , sur un terrain inculte qui n'offre à l’œil qu'une végétation triste et rabougrie, au pied d'une montagne dont une épaisse forêt assombrit la croupe, le palefroi du roi s'arrête comme épouvanté. Pourtant, pas d'autre bruit dans la nature que celui du torrent voisin et des feuilles que le vent agite. Le roi pousse en vain le coursier, qui reste immobile.Trois fois Charles enfonce l'éperon dans les flancs du palefroi , jadis si docile : trois fois l'animal recule.(…) il aiguillonne de nouveau son coursier mais celui-ci n'avance point, une puissance secrète attache son pied à la terre. Mais, ô prodige! à la place même où l’ardent palefroi s'est cabré, se montre aux deux guerriers vainqueurs une Vierge lumineuse et rayonnante de beauté , qui disparaît bientôt sous le gazon. A peine l'aube a-t-elle doré le sommet des pics sourcilleux dont le bassin est environné que, par ordre du chef, l'armée entière est réunie autour du théâtre de cette merveilleuse apparition. Deux génisses blanches, jusque-là indomptées, et conduites par le roi lui-même, explorent cette terre mystérieuse. Le prodige se renouvelle. Les génisses s'arrêtent et le soc découvre une statue d'airain qui est dressée solennellement sur un autel de pierre improvisé, où une invisible main a gravé ces mots solennels : Notre-Dame de la Victoire. Vainement, ô grand roi, tu voudras doter l'abbaye de Saint-Volusien de Foix , dont tu viens de relever les murs, de ce miraculeux trésor, c'est à Sabar même que Notre-Dame de la Victoire veut avoir son temple ! Transportée deux fois solennellement dans la basilique alors consacrée à saint Nazaire, entre l'Ariège et le Larget, deux fois la statue revient dans le site sauvage où elle est apparue à Charlemagne. Plus de doute pour le roi chrétien, c'est là, sur cette lande inculte, que la mère de Dieu sera honorée : c’est là que la reconnaissance et la piété lui élèveront un autel, et que plus tard les enfants de la contrée éterniseront par un annuel pèlerinage la victoire qui affranchit leurs pères de la plus odieuse des oppressions. Telle est, d'après la légende, fantastique récit conservé d'âge en âge dans les souvenirs populaires, l'origine de la chapelle de Sabar.
Bien que ce récit ait le statut d’une légende transmise de générations en générations dans la région, de multiples indices archéologiques, historiques, typologiques, architecturaux et textuels attestent de la véracité de certains éléments, plaidant en faveur de l’idée que Notre-Dame de Sabart a été réalisée par la main de Charlemagne :
Des fouilles archéologiques réalisées en 1834 ont révélé un ensemble de tombeaux en pierre du VIIIe siècle, à quelques pieds au nord de Notre-Dame de Sabart, renfermant des ossements et des armures de neuf chevaliers. L’une est aujourd’hui conservée au musée de Tarascon, et les autres se trouvent probablement dans la crypte du sanctuaire.
L’histoire des conquêtes franques parle d’elle-même : les campagnes menées successivement par Charles Martel et Pépin le Bref se consacrent à repousser les troupes maures dans la péninsule ibérique et à libérer le sud de la France des possessions comme des massacres des redoutables guerriers arabes. C’est Charlemagne qui leur porte le coup de grâce et libère définitivement les montagnes ariégeoises de l’occupation, vers 780-790, reconstruisant sur son passage de nombreux édifices religieux et monastères pour reconquérir le paysage local.
Aujourd’hui, la toponymie du pays ariégeois reste très marquée par ce passé d’occupation sarrasine et par les conquêtes de Charlemagne. Dans les ses localités et ses bâtiments, les noms aux origines arabes — Montmaioü, tour de Maoü Nègre, château de Roquemaure — se mêlent auxréférences à l’empereur carolingien: la tour de Carol, Carolcast, Roc de Carol…
Les architectures de cette région, bien que parfois entièrement remaniées, nous dévoilent une construction massive à la fin du VIIIe siècle. L’église de Sabart en est un parfait exemple : le plan de son édifice, mystérieusement inchangé jusqu’à nos jours, se déploie sur un plan basilical datant soit du VIIIe siècle soit (selon d’autres sources) du XIIeme.Cependant cette divergence des sources n’est pas probante, ce type de plan étant assez similaire voir identique au cours de ces siècles dans la région.
Le dernier indice est la concordance des récits et des traditions dans l’ensemble de la région, qui rapportent tous que Charlemagne y aurait remporté la victoire et fait bâtir et consacrer des chapelles à la Sainte Vierge. Et en effet, partout alentour – à Sabart, à Foix, à Celles, à Amplaing, la date du 8 septembre – jour de la fête de la Nativité de la Sainte Vierge — est marquée comme un jour de pèlerinage en hommage à la libération de la région et reste pour les Ariégeois un symbole de la fin de l’occupation sarrasine.